Le conte des poubelles
Et si je participais à galvauder la notion de permaculture ?
Figure-toi que l'idée m'est venue plus d'une fois, car je doute beaucoup de moi en ce moment.
Peut-on, du jour au lendemain, parce qu'on voudrait agir en cohérence avec l'esprit du temps, s'emparer d'attitudes pas naturelles, qui nous font ressentir de drôles de contradictions ?
L'esprit du temps qui m'a parlé, c'est celui qui a lancé :
"Hâtez-vous, c'est bientôt LA FIN DE NOTRE MONDE".
(Mais en fait il est atemporel, l'esprit du temps. La fin, ça en fait rêver certains depuis au moins deux mille ans, dans le genre "grand feu purificateur de l'Apocalypse").
Fait-on, fais-je, parti de tous ces idiots "bien élevés" qui savent précocement ce que le mot ETHIQUE signifie et qui, en entendant ce message relayé depuis l'école primaire sur la prétendue crise écologique se sont sentis directement concernés. Investis d'une mission. Gonflés à bloc, encore prépubères et déjà concernés directement par cette mission angélique de redonner à la planète le visage de l'Eden perdu... On a tout mélangé, on nous a bien menti. Et puis on a appris l'hypocrisie et l'incohérence en nous disant, en nous répétant en boucle : CE n'est PAS de votre faute. Vous pouvez à la rigueur cultiver deux radis à quinze sur un carré de gadoue à Paris, vous pouvez trier vos cartons sans y mettre de sac plastique, et puis continuer de vivre, parce que la vie, c'est quand même déjà assez dur comme ça pour qu'on se rajoute des emmerdements bons pour les babosses, les bobos et les babtous.
Déjà ça a commencé avec Nestor, dont le nom résonne avec mélancolie à mon oreille.
Nestor, non, ce n'était pas mon chien... Mais la poubelle du tri sélectif à Issy les Moulineaux.
La poubelle dans laquelle allait fouiller le père de famille, génial, mais néanmoins dérangeant, d'un copain d'école, lequel jouait de la harpe et récoltait des 20 en maths à tous les coups.
On a traité ce père de famille, l'homme le plus discret, le plus timide (et certes le plus fouilleur de poubelles) de la ville, d'une façon très issylesmouliniennes, en faisant tourner une pétition dans l'immeuble pour que lui et les siens se fissent expulser.
Dans ces sombres heures de confusion, de choc, le voyant baigner dans les immondices du local à ordures, ou dans son appartement, réduis à la plus petite surface possible à cause des murs de journaux empilés jusqu'au plafond, qui faisaient un petit corridor pour les êtres, mon goût pour la récupération n'a fait que croître sourdement en moi, dans un monde où même les poubelles peuvent faire rêver, fasciner.
La nouveauté, l'or, se trouve encore dans les poubelles, intactes.
"Vous AVEZ de L'OR dans VOS POUBELLES" s'étaient exclamés des brésiliens d'une association venus nous faire des révérences dans mon lycée de bourges gauchistes.
Ils étaient sincères. Presque choqués. Aussi heureux que nous, si nous avions trouvé un billet de 500 à chaque coin de rue.
"Nous avons trouvé tant de choses. Mais nous n'avons pas la place d'emporter tout ça dans l'avion."
ça va, ça va, les chouineries made in favela, je me suis dit.
Dès ce jour, la lave a commencé de couler de cet esprit si peu différent de la plupart des esprits dans mon genre : on est vraiment des gros pourris gâtés. Oui. Non. Je ne sais pas. La vie est injuste. Que faire, que faire, qu'est-ce qu'il faut faire...
Et oui ! Dur ! Dur, ou impossible, de se séparer de ce qui a donné à notre vie ce doux semblant de taffetas rose soyeuse et duveteuse comme un nuage de coton de lait.
Pas facile facile.
Alors vient la permaculture, comme une formule magique prête à réparer le monde.
Mieux que tout, à réconcilier l'ancien monde et le nouveau. Les civilisations perdues et la nôtre en perdition.
Avec la permaculture, tout est possible ! Je le sais, puisque je l'ai vu. Ah, j'ai oublié que c'était en Nouvelle-Zélande. Ils ont un climat un peu plus clément que le nôtre, mais relativement similaire. (sur le plan des températures, car sinon, l'impression est toute autre. Et le soleil est le plus puissant de la planète, là-bas, grâce au CFC des frigos du monde désormais interdits). Et les gens sont très ouverts d'esprit. Même si on est français. Alors, ça va !
J'étais déjà arrivée à Nice, trois ans auparavant, avec l'idée de cultiver la terre. Je suis allée me former dans une ferme biologique juste à côté, mais on a passé trois semaines à séparer les stolons de fraises. J'ai donc préparé mon voyage pour la Nouvelle-Zélande, en me disant que j'apprendrais bien des choses avec le wwoofing. C'était une bonne idée, mais j'aurais dû y rester davantage, si j'avais su que je reviendrais ici pour finalement faire ce que j'avais vu là-bas.
Je ne pourrais pas ramener le ciel de ce pays, qui me manque. Je ne pense pas que j'y retournerai un jour. Auckland, c'est fini.
Mais je voulais faire vivre la permaculture. Les français sont d'un scepticisme à toute épreuve. Fascinant comme ils adorent critiquer ce qu'ils croient être la concurrence personnifiée de leur culture et choix de vie. Les lobbies n'ont rien à faire ici, ou si peu.
Hé man ! Tu veux bouffer de la merde, je m'en tamponne sacrément l'estomac. Je dirais comme Michel des Fraternités Ouvrières :
"Mieux vaut manger de la merde ensemble que du bon tout seul."
Oui, ensemble ! Je crois que c'est le point le plus important dans la permaculture. On ne peut pas le faire tout seul. C'est impossible, à moins de faire un enfant aussi motivé que soi, qui fera un enfant aussi motivé que ses aïeux, etc, sur quatre ou cinq générations. Mais c'est fini le temps où les enfants reprenaient le travail des parents.
On est dans une société libre, mazette, libre d'abandonner nos enfants aux entreprises les moins éthiques...
Donc, pour reparler de permaculture, ce nom devenu à la mode (quand un français dit qu'un truc est à la mode, c'est qu'il pense qu'on veut encore le manipuler, alors qu'il l'est déjà, enfin : C'est du délire, ce truc de dire que quelque chose est à la mode et que c'est donc la seule raison qui anime les gens à en parler. Du gros délire, car évidemment que c'est "à la mode" sinon on n'en parlerait pas !
Autrement, quand on dit qu'un sujet est à la mode, c'est aussi une manière de dénigrer sa tenue dans le temps : une sottise, une illumination, qui finira bien par tomber comme un soufflet, puisque c'est sans fondement scientifique et que les pauvres, qui sont ceux qui devraient s'y intéresser, ne s'y intéressent pas...
Bon, déjà, pas de chance : c'est fondé scientifiquement. Des centaines de thèses universitaires existent sur le sujet. Des milliers de livres. Des centaines de milliers d'articles et de vidéos. Des millions de personnes qui la pratiquent en le sachant avec des résultats 4 à 50 fois supérieurs à ceux de l'agriculture conventionnelle, et pas moins de deux milliards qui la pratiquent sans lui donner ce nom, et qui, quand ils ont la chance de connaître cette méthode de conception, cette philosophie aussi, deviennent plus forts : construction d'une grande cuve d'eau sur le toit d'une école, faisant de l'ombre, etc.
Mais ce qui dérange encore dans la permaculture, c'est qu'elle semble donner un mode d'emploi. Comme c'est nouveau ici, on l'a un peu cristalisée, la notion, autour de mots qui reviennent en boucle dans la bouche des formateurs : "résilience", "design", etc.
Je crois que la permaculture est une pratique de la science toute nouvelle et très intuitive. Les termes qu'on peut retrouver sont ceux des fondateurs eux-mêmes, dont l'un voulait carrément déposer le nom du concept !
Mais la permaculture tiendra si elle reste vivante, et non figée à la vision de deux australiens géniaux des années 70. Ils m'auraient étripé, Bill Molisson, en lisant ces lignes.
Enfin le but de la permaculture, arrête moi si je me trompe, c'est de (re)créer un système pour vivre en harmonie avec la nature et son environnement (sa culture aussi, crénomdediou). Tous les moyens éthiques sont bons pour y parvenir. Et l'éthique, c'est pas prendre, jeter, prendre, jeter. On peut faire ça. On peut être nihiliste, dépressif, on peut. Mais si on a les moyens de lever les yeux un moment, on peut aussi tenter de lui faire un petit sourire timide, à cette chienne de vie.